LE FONDS EN EUROS, UNE EXCEPTION FRANÇAISE CHAHUTÉE
Les conditions macro-économiques chahutées, avec des taux toujours bas depuis la crise des subprimes en 2008 (malgré un rebond sur les derniers mois) et une volatilité et une perte de confiance dans le contexte de la pandémie de COVID-19, impactent négativement le modèle de rentabilité traditionnel des producteurs d’assurance-vie français : la hausse des dépenses publiques (62% du PIB français en 2020, contre 55% en 2019) dégrade la rentabilité des obligations d’état, et rend complexe pour les assureurs le maintien du triptyque supportant autrefois le succès du fonds en euros : risque faible, liquidité et rentabilité.
En 2020, 66% de la collecte en France est réalisé sur le fonds en euros. Cette proportion importante masque pourtant une baisse du taux de croissance de la collecte sur ce support, historiquement plébiscité par les Français, de près de 5% par an entre 2010 et 2020. Sur la même période, la collecte sur les supports en UC a crû de 8% par an.
À travers un panel de 7 acteurs parmi les plus prééminents sur le marché français, Stanwell s’est attaché à comprendre comment les Assureurs et Bancassureurs percevaient l’évolution du marché de l’assurance vie, ainsi que les réponses qu’ils y apportaient.
DYNAMIQUES PASSÉES SUR LE MARCHÉ DE L’ASSURANCE VIE EN FRANCE
TENDANCES DE MARCHÉ
Entre 2010 et 2019, la collecte brute totale de l’assurance-vie en France a connu une croissance plate, de l’ordre de +0,1% par an. Ce chiffre dissimule des dynamiques très différentes entre la collecte sur les supports en UC, et celle sur le fonds en euros.
La part de la première dans la collecte brute totale est passée de 13% en 2010, à 28% en 2019, portant le taux de croissance annuel moyen (ci-après TCAM) sur les supports en UC à 8% p.a. entre 2010 et 2019. Sur la même période, la collecte sur le fonds en euros décroissait de 2% p.a.
Ces écarts de dynamique semblent avoir été amplifiés par la pandémie de 2020 : la collecte sur les supports en UC maintient sa dynamique de croissance de près de 8% par an entre 2010 et 2020, portant sa part dans la collecte brute totale à 2020 à 34% ; le fonds en euros accélère sa décroissance, passant à 66% de la collecte brute totale en 2020 (contre 87% en 2010, soit une décroissance de l’ordre de -5% par an entre 2010 et 2020).
Ramenées au panel de notre étude, ces évolutions de place se déclinent davantage selon la typologie des acteurs : les bancassureurs connaissent une croissance de la collecte brute sur les supports en UC de l’ordre de +12% p.a. entre 2016 et 2019, bien plus forte que celle observée sur les « pure-players » assurantiels (+4%).
Les bancassureurs connaissent simultanément une décroissance de leur collecte brute sur le fonds en euros moins forte que celles observées chez les assureurs « pure-players » (-13% p.a. entre 2016 et 2019 pour les premiers, vs. -12% pour les seconds).
DRIVERS DE L’ÉVOLUTION DU MARCHÉ
De manière peut-être assez surprenante, cette montée en puissance des supports en UC ne procède pas d’une évolution de la demande.
Une étude sur le thème de l’épargne menée par Stanwell révèle que 60% des sondés estiment ne pas avoir atteint leur seuil de sécurité financière ; 79% déclarent que l’atteinte de ce seuil ne changerait pas leur manière de gérer leur épargne.
La dynamique des supports en UC est principalement drivée par l’offre. La rentabilité amoindrie des obligations d’état et la chute qui s’ensuit du rendement du fonds en euros déstabilisent le modèle de rentabilité des assureurs et bancassureurs, et les incitent à chercher une réponse équilibrée au triptyque risque/rendement/liquidité.
Dû à leur rentabilité plus intéressante et à leur moindre consommation de fonds propres, les supports en UC cristallisent cette réponse : l’offre se diversifie, avec une augmentation du nombre de supports (de l’ordre de 50% à 100% entre 2016 et 2019 pour les acteurs dans l’étude) et une distribution des encours plus variée sur les différents groupes de supports disponibles, les supports Immobilier et Produits Structurés (+3% sur les encours entre 2016 et 2020) réalisant la plus forte progression. Cette diversification de l’offre s’oriente vers des sous-jacents tournés vers l’économie structurée, l’économie réelle et les labels ESG.
Les réseaux montent également en puissance autour de l’offre « UC », avec des incitations commerciales fortes, et un discours s’orientant autour de la capitalisation sur des moments de vie clé, tels que la préparation du départ à la retraite.
TYPOLOGIES D’ACTEURS
Deux archétypes d’acteurs se détachent en 2020 sur le marché.
ARCHÉTYPE 1 : L’INTÉGRATEUR
Le premier archétype, celui de l’Intégrateur, s’appuie en priorité sur des sociétés de gestion internes (en particulier sur le segment de la clientèle mass-market) et sur des réseaux propriétaires.
L’archétype de l’intégrateur fait face à trois (3) défis principaux :
1• La mass customization, à savoir le besoin de personnaliser l’offre au profil du client.
L’Intégrateur y répond au travers de la gestion pilotée, laquelle permet d’orienter le client vers des supports et des typologies de risque selon ses appétences et ses intérêts. La gestion pilotée, déjà fortement présente chez les bancassureurs dès 2016 (entre 10 et 15% des encours sur le périmètre de l’étude), décolle entre 2016 et 2019, pour atteindre entre 15% et 20% des encours chez les bancassureurs, et s’établir autour de 10% chez les assureurs.
2 • L’animation des réseaux, à travers l’accompagnement de la mise en marché des nouvelles offres, le renforcement de la formation autour des supports en UC, l’amélioration de l’accès à de la documentation sur les offres et la réglementation et le développement de coaching d’experts via la mise en place d’équipes dédiées.
3 • L’amélioration de l’expérience client et de la transparence des offres, avec la digitalisation au service de l’expérience client et du self care, et l’intégration de la gestion déléguée dans le parcours digital du client (portée par les OAV).
ARCHÉTYPE 2 : L’AGRÉGATEUR
Le second archétype, celui de l’Agrégateur, se base sur une architecture ouverte : l’agrégateur identifie et package les meilleurs produits disponibles sur le marché. Il s’appuie sur une structure interne légère et des processus largement industrialisés pour se concentrer sur son cœur de valeur ajoutée : la mise en marché rapide de produits innovants, la capacité à personnaliser ses offres et à maintenir une profondeur adéquate sur celles-ci. Les fonctions ne relevant pas strictement de ce cœur de valeur (e.g. l’animation des partenaires distributeurs et la gestion des producteurs) sont typiquement externalisées.
Les défis et enjeux auxquels doit répondre l’agrégateur sont les suivants :
1 • L’amélioration de la profondeur de l’offre de services et de produits
Pour accompagner ses distributeurs, l’agrégateur doit élargir sa gamme de classes d’actifs (e.g. UCs immobilières, produits structurés, etc.) et améliorer la profondeur disponible sur chaque classe d’actifs (i.e. le nombre de support par groupe).
L’agrégateur doit également élargir sa proposition de services à destination des CGPIs (e.g. études clients, gestion du risque, digitalisation des parcours B2B2C).
2 • L’industrialisation toujours croissante de ses processus et l’optimisation de ses systèmes de gouvernance et de délégation.
3 • La formation de ses effectifs et le recrutement de talents et de compétences attachées à son cœur de valeur (e.g. ingénierie patrimoniale et financière, modélisation des risques).
DYNAMIQUES FUTURES SUR LE MARCHÉ DE L’ASSURANCE VIE EN FRANCE
ÉVOLUTION DU MARCHÉ
La projection de la collecte brute entre 2020 et 2023, en lien avec la croissance du PIB sur la période, montre un maintien de la dynamique positive sur les supports en UC.
Les acteurs interrogés dans le cadre du benchmark s’inscrivent dans cette dynamique, avec une croissance de +15% à +20% attendue sur la collecte brute en UC entre 2020 et 2023.
Cette accélération de la collecte en UC ne s’accompagne pas, selon les projections mathématiques et les estimations des acteurs interrogés, d’un désintérêt pour le fonds en euros, qui resterait une pièce importante de l’équilibre garantie/durée/performance telle que vue par les clients.
L’enjeu perçu sur le fonds en euros est celui de faire payer le juste prix via les frais de gestion, et via un aménagement de la tarification pour alléger ces frais si la proportion d’UC est significative dans le portefeuille client.
Cette croissance attendue de la collecte brute en UCs, et de la collecte globale, s’accompagnerait d’un effort sur la structure des coûts des acteurs interrogés (-5% à horizon 3 à 5 ans).
ÉVOLUTION DU POSITIONNEMENT DES ACTEURS ET ENJEUX
Les agrégateurs interrogés dans le périmètre de l’étude affichent une volonté de consolider leurs positions, notamment via la création de filière UC dédiée.
Les intégrateurs restent plus partagés, entre un maintien de leur position avec une architecture fermée et des réseaux propriétaires, et l’ambition d’ouvrir peu à peu leur architecture, et de s’appuyer sur un réseau élargi de partenaires de distribution externes.
Les deux archétypes s’appuient sur différents leviers sur l’Offre, la Distribution et l’Efficacité Opérationnelle pour garantir une croissance rentable à horizon 2023.
L’augmentation de la part d’UC dans la collecte de +15 à +20%, attendue par certains acteurs dans le benchmark, a un impact limité à horizon 2023, avec +2 points de part d’UC dans les encours et +2 bps sur le ROA anticipés. Les gains envisagés sur la structure de coûts, moyens (-5% sur la période), appellent à des leviers plus disruptifs pour renforcer la rentabilité.
1 • La diversification de la gamme d’UC, la digitalisation du conseil par les réseaux et le développement de la gestion profilée permettent d’envisager une augmentation plus nette de la part d’UC et des revenus (+9%) pour l’archétype 1 (intégrateur/animateur).
2 • L’industrialisation poussée de la gestion des partenaires et de l’interfaçage avec les Distributeurs pour les acteurs de l’archétype 2 (agrégateur/influenceur) sont les leviers vers une croissance rentable.
CONCLUSION
Accélérée par la crise pandémique de 2020, la montée en puissance des supports en UC dans la collecte de l’assurance-vie française reste portée par la volonté des assureurs et des bancassureurs de rééquilibrer leur modèle de rentabilité, entravée par la perte de vitesse du rendement du fonds en euros, et par l’impulsion commerciale et la diversification des offres qui en résultent.
Cette accélération apparaît destinée à se poursuivre, voire à s’intensifier, sur les trois prochaines années, les supports en UC consolidant leur position comme premier moteur de croissance pour l’assurance-vie, aux côtés d’un produit d’appel qui resterait le fonds en euros.
Cette dynamique sur le segment des UCs s’accompagne d’un double enjeu :
Sources : ACPR, FFA, Banque de France, Benchmark Stanwell.