À l’heure de l’incertitude sur la capacité de nos économies à tenir les objectifs de l’accord de Paris, les acteurs du financement sont plus que jamais dans le viseur des régulateurs et de l’opinion publique comme les pierres angulaires d’un avenir plus durable. Là où la COP21 en 2015 promettait de maintenir un réchauffement global en deçà de +1,5°C, les dernières publications du GIEC laissent à penser que ce seuil pourrait être dépassé dès 2030.
Les banques, elles-mêmes conscientes de leur rôle clé, prennent des engagements au-delà des exigences de transparence qui leurs sont imposées par les régulateurs. Cela se matérialise en particulier par l’adhésion des principales banques du monde à la Net Zero Banking Alliance (NZBA) qui prévoit que chacune développe une trajectoire de neutralisation des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) de leurs portefeuilles d’investissement et de financement à horizon 2050.
Entrée en vigueur en 2018, la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) prévoyait que les entreprises cotées et les entreprises de plus de 500 salariés devaient reporter l’alignement de leur chiffre d’affaires et de leurs dépenses avec la taxonomie verte européenne. Ce reporting repose sur des critères définis précisément pour les secteurs éligibles, c’est-à-dire les secteurs ayant un fort impact potentiel (positif ou négatif) sur l’environnement (du climat, à la biodiversité, en passant par la gestion de l’eau). Ces critères sont progressivement détaillés pour tous les secteurs éligibles, objectif par objectif, au sein des actes délégués du règlement Taxonomie.
Focus sur les six objectifs de la taxonomie verte européenne :
Pour être aligné à cette taxonomie, un actif doit :
Depuis le 1er janvier 2024, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) intervient en lieu et place de la NFRD pour renforcer ses exigences : désormais les entreprises éligibles sont celles de plus de 250 salariés ayant soit un chiffre d’affaires supérieur à 50M€, soit un bilan supérieur à 25M€ ; ainsi que les entreprises non-européennes ayant un chiffre d’affaires en Union Européenne de plus de 150M€. De plus, cette nouvelle version prévoit que les données reportées soient auditées.
NFRD ou CSRD, les ambitions des pouvoirs publics restent les mêmes : garantir la transparence des reportings extra-financiers, lutter contre le greenwashing et améliorer la comparabilité entre les acteurs dans le but de suivre et de piloter une transition écologique efficace et rapide. La granularité et la précision des informations à transmettre est considérable : par exemple, dans le secteur de la construction, la « contribution significative » au troisième objectif est conditionnée notamment par les débits des robinets et douches des bâtiments construits ou rénovés.
Sur la base des éléments publiés par les entreprises, les banques peuvent en partie répondre à leurs propres exigences réglementaires face à la taxonomie verte. Des exigences qui sont principalement matérialisées dans la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Parmi ces exigences, l’une des plus importantes est la publication du GAR « Green Asset Ratio » qui à son numérateur possède les financements « alignés » à la taxonomie européenne (mêmes critères que ci-dessus) et à son dénominateur, les financements éligibles. Ce ratio publiable depuis 2024 sur les données de 2023, et faisant d’ores et déjà remonter un grand nombre de difficultés opérationnelles, est voué à être remplacé par le BTAR (Banking book Taxonomy Alignment Ratio) avec des exigences plus strictes en termes de périmètre d’éligibilité, de granularité, et de limitation du recours à des proxys.
Mais à la tâche déjà ardue qui émane du réglementaire, s’ajoute l’engagement volontaire des banques (NZBA) de piloter efficacement une trajectoire vers la neutralité des émissions de leurs portefeuilles. C’est là tout l’enjeu d’un effort transitoire : il s’agit d’un processus continu et dynamique et non d’une rupture instantanée avec les investissements polluants. Certaines énergies par exemple restent incontournables pour l’instant, et les émissions qui y sont liées doivent être mesurées pour être compensées.
Mais que cela relève de leur propre stratégie ou s’inscrive dans le cadre de leur supervision, les banques doivent piloter un certain nombre de risques supplémentaires par rapport au risques « classiques » surveillés historiquement, dont certains figurent maintenant au pilier III ESG de l’Autorité Bancaire Européenne (EBA).
Ces nouveaux besoins sont loin d’être évidents à mettre en œuvre. Par exemple, une question très simple et néanmoins très structurante se pose dès le renseignement du secteur du client, qui n’est souvent pas suffisamment granulaire, et se simplifie souvent par l’activité représentant le plus de chiffre d’affaires dans le mix. En outre, pour les financements non-dédiés (c’est-à-dire hors financements de projets ou d’actifs tels que de l’équipement ou de l’immobilier), l’utilisation des fonds n’est pas connue. Enfin, les institutions sont aussi confrontées à des questions de périmètre, comme les divergences d’applicabilité de la NFRD / CSRD par rapport au Pilier III ESG ; ou encore comment récupérer les données auprès des contreparties non-européennes, ou des petites contreparties non-éligibles ?
Tous ces éléments engendrent des besoins de formation des équipes, d’évolution des parcours clients et collaborateurs, d’enrichissement des systèmes IT (en particulier intervenant dans des processus d’octroi automatisés), ainsi que de nouveaux points de données dont il faut aussi sécuriser le cycle de vie. Il y a également un sujet de consistance des analyses et des décisions entre les entités d’un même groupe (un partage de la « jurisprudence » organisée autour de processus et de bases de données mutualisés semble incontournable, au-delà de la nécessité d’économie de coûts).
Ces besoins fréquents peuvent se matérialiser par la mise à jour des indicateurs réglementaires dans le cadre d’une revue annuelle ou bien par le contrôle régulier de covenants inscrits au contrat qui deviennent maintenant de plus en plus extra-financiers. Lorsque l’objet du financement est un actif réel (bâtiment, équipement), la collecte des données peut être encore plus ardue : DPE, localisation GPS en temps réel, altitude… Quoiqu’il en soit, les défis sont conséquents et sont amenés à se multiplier à mesure que l’échéance climatique se resserre. La collecte de données impliquera à la fois des interactions clients plus régulières et sécurisées, ainsi que l’utilisation de bases de données tierces.
Si le sujet paraît déjà conséquent et riche en impacts pour les banques comme pour leurs clients, tout laisse à penser qu’il ne fera que s’élargir et se complexifier temps que l’urgence climatique se fera sentir. Avant il y avait un problème, maintenant il y en a deux : inverser la tendance du réchauffement climatique futur, et adapter nos infrastructures aux conséquences néfastes et déjà visibles du réchauffement climatique actuel. En outre, certains aspects de la taxonomie verte comme la protection de la biodiversité, sont encore pris en compte de manière très superficielle et vont devoir être précisés.
Un dernier facteur d’élargissement ne doit pas être négligé. En effet, si la normalisation des reportings et la mesure des efforts sont bien engagés sur le volet « Environnement » du développement durable, qu’en est-il du S « Société » et du G « Gouvernance » du sigle ESG ? Sur le volet « Société », en tout cas, une taxonomie sociale européenne devrait prochainement voir le jour autour de trois piliers : travail décent, adéquation des niveaux de vie et bien-être des utilisateurs, inclusivité et durabilité des sociétés.
Bibliographie
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