“L’informatique produit” comme réponse aux tendances de place dans les services financiers
Les directions informatiques des grands acteurs des services financiers ont à faire face à de véritables ruptures dans leurs modes de fonctionnement au regard des lames de fonds qui traversent l’écosystème et qui se nomment entre autres open Banking, Insurance as a platform, cloudification, création de data hubs, intégration et agrégation de services digitaux, etc. Elles doivent donc composer avec un SI historique lourd et peu flexible que nous baptiserons ici «informatique de gestion» et qui représente une part importante de leurs coûts (à minima 50 à 70% en fonction des contextes) et une informatique réactive et agile au plus près des besoins des métiers que nous baptiserons ici «informatique produit». Au travers de cette dernière, la DSI doit devenir un acteur de la proposition de valeur produit sous peine de voir les métiers se passer d’elle et s’adresser à des partenaires externes en capacité de leur fournir des services «clé en main» aussi bien au niveau de l’infrastructure et du cloud (IASS / PASS) que des solutions (SAAS), cantonnant l’informatique à un rôle de spectateur des choix stratégiques uniquement en charge d’assurer le bon fonctionnement de ces nouveaux services avec l’écosystème existant.
Les enjeux liés à la mise en œuvre de “l’informatique produit”
La DSI doit sortir de son rôle traditionnel d’exécution de la demande métier et de maintien en condition opérationnelle des solutions, en utilisant comme levier la mise en œuvre d’une «informatique produit» performante et innovante dans laquelle les métiers doivent jouer leur rôle avec des enjeux devant être expliqués et partagés par l’ensemble des acteurs :
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- La construction d’actifs technologiques et de solutions différenciantes nécessite une continuité de l’investissement sur les «poches de valeur» identifiées. Ceci ne signifie pas un chèque en blanc mais une focalisation et une certaine stabilité dans les moyens afin de laisser le temps aux «produits» de gagner en maturité et de trouver leur cible dans une logique de Scalabilité à la fois pour le client interne et potentiellement, dans un second temps, pour le marché (logique de MVP évoluant par incréments de valeur maximale). Par exemple, la construction par l’assureur AGEAS de l’application Whishizz, basée sur l’agrégation bancaire, lui a permis de faire émerger un produit innovant ayant une valeur sur le marché au même titre que ce que proposent les fintechs spécialisées que sont Linxo ou Bankin’. Dans cet exemple précis, il est important de noter que le véhicule du produit est important car il doit souvent être conçu et raffiné dans une coquille différente (structure juridique, indépendance budgétaire et de decision, sourcing, etc..) de celle de la DSI ou de l’entreprise institutionnelle pour exister.
- La conséquence du premier point est la nécessaire identification de ces poches de valeur qui sont souvent des actifs intangibles de l’entreprise. Il faut alors développer une véritable approche de qualification de cette valeur (Client, financière, image, etc.), notion souvent très hétérogène dans l’entreprise, ainsi qu’une évaluation de son potentiel (capacité d’extension, scalabilité). Amazon est l’exemple type avec la mise à disposition comme «produit» de ses propres outils de stockage Web qui deviendront progressivement le Cloud AWS d’aujourd’hui.
- L’enjeu technologique est également clé pour «l’informatique produit» et identifié comme tel par les DSI qui ont par exemple augmenté de 33% leurs dépenses en services cloud en 2020(1)ou prévoient à 64% d’augmenter leurs dépenses sur la Donnée et l’Intelligence Artificielle en 2021(2). La DSI ne doit pas être dans la simple expérimentation technique mais partir en amont de cas d’usages métier, l’effort étant aussi important pour maîtriser une technologie que pour en proposer des applications concrètes à valeur pour le métier. On ne compte plus sur le marché le nombre de «Data Labs» aux financements ambitieux et qui n’ont jamais sorti le moindre produit viable.
- L’objectif pour l’informatique est donc de fournir des produits qui ne sont plus uniquement des solutions mais bien des actifs métier à part entière. Ils ne peuvent donc pas être conçus et développés autrement que main dans la main avec les métiers au sein d’une seule et même équipe avec des compétences mixtes et communes. Au-delà de la phase de construction, métier et IT doivent également avoir la co-responsabilité sur la vie du produit (ou run) à la fois sur les aspects de rentabilité et d’utilisation du produit que sur sa fiabilité, sa disponibilité et sa sécurité. Ces aspects sont particulièrement clés sur des produits digitaux qui deviennent vitaux pour leurs utilisateurs et ou l’exigence de qualité de service et de sécurité est pratiquement à 100%. A titre d’illustration, on mesure qu’une entreprise qui subit une cyberattaque avec fuite de données perd en moyenne 4,5% de ses clients(3), ce qui est très significatif.
- L’enjeu de co-responsabilité sur le produit se prolonge également sur l’aspect du pilotage des coûts et des revenus de celui-ci et remet plus généralement en cause le modèle économique de la DSI, qui ne doit plus être considérée comme un simple centre de coûts. Exit donc le Business case traditionnel qui n’intègre qu’une partie des coûts, se base sur des hypothèses non dynamiques, et n’est que très rarement exhumé et retravaillé à l’issue des projets. La logique du produit est justement qu’il se monnaye sur le marché et intègre nativement un coût IT unitaire complet par service. Prenons par exemple un produit de souscription de crédit qui embarque des services de contrôle de l’intégrité du client, de scoring d’appétence et de signature électronique : si chacun des services coûte 20 centimes d’euros pour un cout total IT de 60 centimes, on va pouvoir comparer ce coût au profit moyen généré par client acquis multiplié par le taux de transformation du canal de souscription. On a ainsi une vision très directe de la rentabilité du produit et son succès résulte bien d’un effort conjoint de l’IT et des métiers.
- Le dernier enjeu clé de «l’informatique produit» est un enjeu d’architecture du système d’information. En effet, le cœur du modèle est la capacité de l’informatique à réaliser l’intégration et l’assemblage de différents services de manière rapide et agile :
- Mettre en place des plateformes consommant et exposant des services à la fois issus de l’interne et de l’externe.
- Se doter d’une véritable stratégie autour de la donnée pour maîtriser son acquisition, son stockage, sa fiabilité, son extraction et sa transmission vers des outils de visualisation d’exploitation (type IA). Ceci est clé notamment pour disposer d’une donnée fraiche en temps réel.
- Se mettre dans une logique d’évolution continue du produit en raccourcissant les cycles de livraison (Intégration et développement continus) et en remettant régulièrement en cause la solution (construire / déconstruire pour s’adapter aux ruptures technologiques)
- Se mettre en capacité de partager des versions Beta du produit et données associées avec les clients finaux «testeurs» dans une logique de boucle courte pour s’adapter au plus vite à leurs besoins.
- Mettre en place des plateformes consommant et exposant des services à la fois issus de l’interne et de l’externe.
Une transformation nécessaire de la DSI pour une intégration plus forte avec les métiers
On aura bien saisi au travers des paragraphes précédents que les marqueurs de «l’informatique produit» sont très spécifiques et différents de ceux de «l’informatique de gestion». Ils impliquent de transformer les organisations informatiques sur plusieurs plans :
• Un modèle opérationnel aligné sur les chaines de valeur métier et permettant d’avoir un modèle produit Business to IT aussi intégré que possible avec des modes de fonctionnement et une organisation adaptés.
• L’acquisition et le développement des compétences mixtes permettant un maximum de synergies entre les volets techniques et fonctionnels du produit (Marketing digital, UX, design thinking, data science, CI/CD, cloud computing, etc.).
• Un travail sur le SI et l’architecture pour développer les logiques de plateformes et de partenariats permettant un réel choix sur les services à construire en interne et ceux à acheter à l’extérieur, ainsi que sur le partage des actifs informatiques avec d’autres acteurs de la place.
Ceci est d’autant plus critique que le sens de l’histoire est une prépondérance de «l’informatique produit» sur «l’informatique de gestion». Dans tous les cas, cette transformation de l’informatique doit résulter d’un exercice de revue stratégique avec les métiers pour bien identifier et qualifier les zones d’investissement stratégiques, décliner les concepts de produits qui en découleront et repenser conjointement le modèle économique de la DSI au regard de ces choix.
(1)Source Canalys. (2) Source Flexera. (3) Source Ponemon – 314 entreprises dans 10 Pay