Toute organisation possède sa culture, qui la rend unique : ses origines et son histoire, ses principes de management, sa vision, son référentiel commun, ses valeurs, ses rituels, ses normes, sa gouvernance, pour n’en citer que quelques-uns. Ce sont ces attributs culturels qui différencient une organisation et catalysent sa création de valeur.
La situation économique et sociale créée par la crise sanitaire de 2020 bouleverse le fonctionnement habituel des entreprises, et en particulier les interactions qui s’y produisent.
Les attributs culturels sont à la fois plus difficiles à préserver dans le contexte actuel et essentiels pour relever les défis de l’incertitude et de l’adaptation.
Des évolutions de fond qui modifient le rapport à l’entreprise
Les évolutions déjà visibles
La crise de 2020 a accentué des tendances déjà présentes.
Des enquêtes récentes montrent l’importance croissante du sens que les collaborateurs trouvent dans leur travail. Ainsi, 81% des salariés interrogés pour le premier Baromètre de la Résilience Professionnelle ont noté un changement de leur rapport au travail pendant le premier confinement ; ils sont 45% à avoir redéfini leurs priorités.[1] Côté Direction, 96% des DRH ayant témoigné dans une étude du BCG estiment que le rôle principal du manager post-crise sera de donner du sens et de motiver.[2] Parmi les sujets de préoccupation, les équipes attendent une reconnaissance accrue de la part de leur management, comme le montre notamment une enquête de Wittyfit.[3]
La pratique du télétravail s’est fortement accentuée à la faveur des confinements, et constitue une tendance durable pour une partie des équipes concernées. Une situation plébiscitée par les salariés, à travers plusieurs enquêtes de 2020 : classé parmi les focus majeurs[4], l’accroissement du recours au télétravail est un souhait évalué à 30% par une enquête Wittyfit[5], et même une réalité établie pour l’avenir selon 52% des Français.[6] Les leaders RH l’ont d’ailleurs bien compris puisque 85% des DRH interrogés par l’ANDRH[7] et le BCG considèrent souhaitable le développement pérenne du télétravail dans leur entreprise[8] (alors que seulement 39% des dirigeants interrogés par OpinionWay envisagent d’instaurer ou renforcer le télétravail[9]). Les équipes dirigeantes ont récemment fait évoluer leur position sur le sujet, certaines allant jusqu’à prôner un télétravail massif : c’est le cas de PSA Group qui poursuit son déploiement du travail à distance[10] et s’apprête à le proposer aux salariés non liés à la production à hauteur de 3,5 jours par semaine.[11]
Au-delà des conditions de travail, les entreprises vont être confrontées à des situations de transition culturelle. Les attentes sociétales et environnementales suscitent des réorientations stratégiques ayant des implications plus ou moins immédiates sur leur référentiel. On note ainsi le choix par Maïf, Danone ou CIC d’un statut “d’entreprise à mission” tel que défini par la Loi Pacte.[12] Les Groupes Airbus, Total ou encore BP ont fait des déclarations très structurantes dans leur secteur, promettant la conception d’un avion à hydrogène dès 2035 et l’accroissement de la production d’énergies vertes pour 2030. Des priorités renouvelées qui augurent bien des défis pour intégrer de nouvelles compétences et de nouvelles façons de faire dans des entreprises au fonctionnement établi de longue date.
Les risques dans ces changements
L’accélération de ces tendances confronte les organisations à plusieurs types de risques.
Un risque de désengagement d’abord : la distance induite par la crise dépasse le télétravail imposé. Le travail déjà morcelé est davantage ressenti comme tel, y compris dans les sociétés de services. L’éloignement des salariés compromet leur lien d’appartenance ; le lieu de travail perd sa fonction conviviale et sociale, et met en danger le lien social. Ainsi, presque un tiers (27%) des salariés se disent actuellement “détachés de leur mission”[13]. Ce n’est pas étonnant si l’on considère que les relations de travail constituent le premier facteur d’engagement (avant son contenu) pour les salariés du secteur privé[14]. Pour sa part Wittyfit a reçu 30% de réponses sur le souhait de retourner sur le site de travail pour retrouver ses collègues, ce qui en fait “de loin le premier levier de motivation cité”.[15]
Un risque pour l’innovation ensuite : la situation actuelle perturbe les processus créatifs, notamment par la difficulté à collaborer. Ainsi, 56% des 12.000 répondants d’une enquête sur leur vécu du travail à distance pendant le confinement se sont dits moins productifs sur les tâches collaboratives.[16] Si les possibilités offertes par les outils digitaux ont été bien exploitées et reconnues pour produire comme pour mettre en marché, les rencontres physiques et la manipulation d’objets (maquettes par exemple) sont perçues comme indispensables au bon fonctionnement des équipes. Entre outre, la moindre capacité à résoudre des problèmes complexes est identifiée comme un risque important par 54% des DRH interrogés par l’ANDRH.[17]
Enfin, un risque pour le développement des compétences, des savoirs, des croyances : les réorientations stratégiques abordées précédemment vont impliquer une collaboration accrue entre des équipes diverses pendant la phase de transition. Un enjeu pour les RH qui auront plus que jamais besoin d’anticiper la stratégie d’acquisition des compétences (GPEC) pour répondre aux futurs besoins des métiers. Un enjeu pour les DG en matière d’arbitrage des investissements à réaliser et d’équilibre du portefeuille d’activités.
Ces évolutions et ces risques compromettent la performance et la viabilité des entreprises, alors même que leur culture peut leur permettre de structurer des réponses personnalisées à ces défis.
Des réponses qui mettent en jeu les rouages culturels de l’organisation, à tous les niveaux
Quelles pistes de travail explorer dans la culture d’entreprise pour accompagner cette transition ?
La culture d’entreprise se matérialise à travers différents attributs tels que le niveau de délégation, de contribution aux orientations stratégiques, la place de l’innovation dans le temps des collaborateurs, ou encore la perception par les collaborateurs de l’utilité de leur travail à l’atteinte des ambitions de l’organisation.
Il s’agit pour chaque entreprise de s’interroger sur ses attributs culturels pour façonner et adapter les réponses apportées au niveau des collaborateurs, du management et de l’entreprise.
L’échelle des collaborateurs : revisiter les codes autour de la flexibilité, la confiance et l’autonomie
La flexibilité du travail fait partie des principales attentes des collaborateurs : 40% des répondants à une enquête internationale souhaitent de la flexibilité “sur où et quand ils travaillent”[18]. Pour s’engager dans une réponse à ces préoccupations, une piste-clé porte sur la manière de créer un cadre dans lequel chacun et chacune contribue à choisir comment réaliser son travail. Cela demande de créer les conditions d’un rapport de confiance et une réelle transparence entre le management et les équipes. Si l’impulsion vient du haut de l’organisation, en revanche bonnes pratiques, règles et postures à adopter, ou encore travail de fond seront bel et à bien à réaliser au niveau de maille le plus fin : les entités opérationnelles.
La flexibilité se développe à travers les rapports qu’entretiennent les collaborateurs et leur management ; l’entreprise gagnera aussi à évaluer les évolutions à apporter à sa structure, notamment à ses règles de fonctionnement et de contrôle. Le curseur à placer dans le niveau de décentralisation et de maîtrise des risques requiert de répertorier les liens et interactions qui tendent toute l’organisation et d’en repenser les degrés de priorité. Enquête à l’appui, 87% des DRH interrogés par l’ANDRH estiment que l’autonomie du collaborateur sera la première caractéristique des nouveaux modes de travail.[19]
La flexibilité passe aussi par des facilités accrues en matière de mobilités des collaborateurs, non seulement au sein de l’entreprise mais aussi au-delà, via des outils comme la Gestion Dynamique des Compétences. De tels échanges permettent d’enrichir les pratiques, de favoriser l’adaptabilité et de faire évoluer les collaborateurs.
Ces pistes de travail contribuent à la notion de bien-être, qui ressort comme un enjeu majeur de l’entreprise pour 81% des salariés (25 points de plus qu’il y a 2 ans).[20]
L’échelle du management : redonner du sens au travail des équipes
Si la distance permet aux collaborateurs de se concentrer et de s’organiser plus facilement, elle limite l’intensité et la qualité des collaborations : autant de moments de partage et de rituels à réinventer. Le management a pour défi de créer les nouveaux espaces et les modalités de la collaboration et donc de la créativité. Pour y parvenir, les méthodes de co-construction constituent un levier majeur, en donnant la possibilité à chaque équipier d’exprimer ses idées, et à l’ensemble de renforcer le facteur d’adhésion.
Les autres enjeux, renforcés par la distance et la plus grande autonomie des collaborateurs, sont à voir dans l’utilité perçue du travail individuel. L’allongement des chaînes de valeur et le découpage des schémas de production ont éloigné les individus du produit final et du client, particulièrement depuis que le collaborateur se retrouve installés derrière son écran. Charge au manager de bâtir son animation de façon à partager une vision à l’échelle de l’équipe, avec un but commun et dans laquelle chacun et chacune est en mesure de projeter sa contribution. C’est ce qui favorise l’engagement. Enfin si l’autonomie requiert du lâcher-prise, elle n’est pas opposée à un besoin d’accompagnement pouvant se traduire par une pratique accrue du feedback à 360°.
Les environnements changeants font de l’édification d’un plan stratégique un exercice périlleux. Les managers tentent de plus en plus l’ouverture en sollicitant la contribution du plus grand nombre. Un facteur relativement nouveau, qui contribue à reconstruire le lien avec les salariés et garantit plus de robustesse et de différentiation dans les projets.
L’innovation enfin. Encore trop souvent confinée au sein d’équipes dédiées, l’idéation “tous azimuts” a déjà apporté ses bénéfices aux entreprises qui favorisent une approche transverse. Par exemple, la création de Oppens développé au sein du Programme d’intrapreneuriat “Internal Start Up Call” de Société Générale ou le désormais incontournable Post-it® inventé par un salarié lors de son “temps personnel d’idéation” au sein de 3M.[21] Encore trop marginales, les pistes de travail sur la culture montrent qu’un long chemin reste à parcourir pour en faire un réflexe au sein des équipes.
L’échelle de l’organisation : lier les actes à la parole
Après l’organisation du travail et le management : quid des choix de l’entreprise dans sa globalité ?
Une bonne partie des interactions formelles comme informelles bascule peu à peu sur des plateformes numériques plus ou moins officielles. Cela implique que les équipes de direction investissent davantage ces nouveaux terrains et musclent leur stratégie d’information et de communication. A l’autre bout du spectre, ces technologies permettent de recueillir l’expression des collaborateurs puis d’analyser d’énormes volumes de verbatims, afin d’enrichir les orientations ajustées à leur situation et à leurs aspirations.
Les dirigeant.es ne sont plus observé.es sur leurs seuls résultats, mais également sur leurs actes. Une étude APCO montre ainsi qu’en France, les dirigeant.es ayant fait preuve d’authenticité ont été perçu.es comme plus crédibles et légitimes.[22] C’est en reliant l’acte à la parole qu’ils favorisent l’engagement et donc la performance, notamment en période de turbulence.
L’approche jusqu’ici orientée sur les parties prenantes (dont font partie les collaborateurs) produit ses effets : certaines entreprises s’engagent plus rapidement que d’autres dans la voie de la transparence notamment, en s’appuyant sur leur culture. Celles qui n’ont pas encore emprunté cette voie vont ressentir de plus en plus la pression de leur écosystème pour s’engager à leur tour dans la voie prise notamment par les entreprises à mission. Les investisseurs sont de plus en plus sensibles aux critères sociétaux et environnementaux de la performance, au-delà de critères purement financiers ; c’est ce que montre l’exemple de SFIL qui a produit sa première émission obligataire “verte”[23] ou encore la création des agences de notation extra-financières telles que Vigeo Eiris ou Sustainalytics.
Autant de codes, de référentiels et de normes en devenir qui intègrent peu à peu le paysage à des degrés divers dans tous les secteurs de l’économie.
En 2020, les constats sur les modes de travail rejoignent ceux que suscite l’observation de la culture des organisations : il sera plus difficile de mettre en place les bonnes conditions pour travailler ensemble, et en faire une priorité constituera justement le meilleur gage de mobilisation et de performance pour nos organisations.
Quelques mots sur le groupe de travail Stanwell ‘Cultiv’acteurs
Notre groupe de travail est né de la conviction qu’au-delà des évolutions technologiques, les plus importants défis de la Transformation de nos clients passent avant tout par une bonne appréhension de la culture de l’organisation. Il conjugue les forces de consultant.es, managers et associé.es Stanwell et de Lorraine Margherita, consultante en dynamiques collaboratives et partenaire de Stanwell.
Notre Groupe de travail s’est appuyé sur des retours d’expérience pour identifier les attributs culturels clés d’une entreprise porteurs de performance et de création de valeur. Cultiv’acteurs s’apprête à lancer un baromètre visant à mesurer la maturité des organisations et les écarts de perception des collaborateurs, des managers et des leaders.
A travers ce contenu, notre ambition est de donner un éclairage original et activable sur les dimensions à prioriser dans un projet de Transformation
[1] “Baromètre de la Résilience professionnelle”, Envie2résilience en partenariat avec Moodwork (1er mai-22 juin 2020, actifs du service public, de l’entreprise et de la société civile).
[2] Enquête ANDRH/BCG “Covid : le futur du travail vu par les DRH” (450 personnes en France, juin 2020).
[3] Enquête “Le regard des salariés à l’heure de la crise” par l’Ifop pour Wittyfit et Siaci Saint Honoré (1.000 personnes en France, mai 2020).
[4] Etude mondiale Salesforce “Global Campaign Stakeholder Series, Future of Work” (20.000 personnes, 10 pays dont la France, octobre 2019-juin 2020).
[5] Enquête “Le regard des salariés à l’heure de la crise” par l’Ifop pour Wittyfit et Siaci Saint Honoré.
[6] Etude mondiale Salesforce “Global Campaign Stakeholder Series, Future of Work”.
[7] Association Nationale des DRH
[8] Enquête ANDRH / BCG “Covid : le futur du travail vu par les DRH”.
[9] Sondage “Accompagnement de la transformation des entreprises” commanditée par Eleas, Procadres International et Vivant Avocats, réalisée par OpinionWay (septembre 2020, 214 dirigeants d’entreprises et 37 DRH)
[10] Communiqué de presse PSA, 10 octobre 2017, “Travail à distance : déjà 10 000 collaborateurs du Groupe PSA engagés !”
[11] “PSA va généraliser le télétravail dès la rentrée”, Les Echos, 15 juillet 2020 ; “Comment PSA tient le cap d’un télétravail massif pour 40.000 salariés”, Les Echos, 22 octobre 2020.
[12] Loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (“loi Pacte”), article 176.
[13] Enquête Wittyfit “Le regard des salariés à l’heure de la crise”.
[14] “12ème Baromètre de l’Absentéisme et de l’Engagement”, Etude 2020 réalisée par Ayming en partenariat avec AG2R La Mondiale et Kantar TNS (analyse quantitative de 45.403 entreprises et qualitative de 1.000 salariés ; données de l’absentéisme en France en 2019.)
[15] Enquête “Le regard des salariés à l’heure de la crise” par l’Ifop pour Wittyfit et Siaci Saint Honoré.
[16] Enquête BCG “COVID-19 Employee Sentiment Survey” (12.000 personnes aux USA, Allemagne, Inde, août 2020).
[17] Etude ANDRH/BCG “Covid : le futur du travail vu par les DRH”.
[18] Enquête BCG “COVID-19 Employee Sentiment Survey”.
[19] Etude ANDRH/BCG “Covid : le futur du travail vu par les DRH”.
[20] Enquête “Le regard des salariés à l’heure de la crise” par l’Ifop pour Wittyfit et Siaci Saint Honoré.
[21] “3M’s 15% Culture”, https://www.3m.co.uk/3M/en_GB/careers/culture/15-percent-culture.
[22] Etude APCO Worldwide Paris, “La communication des dirigeants du CAC 40 au temps du coronavirus” (23 janbier-24 avril, publication mai 2020, analyse qualitative des prises de parole des dirigeants du CAC 40 et étude quantitative de données publiques et d’articles).
[23] Communiqué de presse SFIL, 5 novembre 2019 : https://caissefrancaisedefinancementlocal.fr/grand-succes-de-lemission-inaugurale-verte-du-groupe-sfil/